Les entreprises laisseraient-elles de côté des moyens de réussite ? Et les DRH, concentrés sur les ressources individuelles, recherchent-ils toujours les moyens propres à améliorer les ressources collectives ? Cherchons-nous à utiliser le potentiel des effets de la dynamique et de l’intelligence collective ou ne continuons-nous pas à penser l’amélioration du rendement qu’en termes tayloriens et que pour les seules équipes de production ?
Un exemple, parmi beaucoup d’autres, invite à se poser cette question. Un groupe de distribution avait laissé sa chance à une marque qu’il venait de racheter. Celle-ci, conduite par une équipe dynamique, redémarre en un an, au grand dam d’autres marques du groupe qui aurait préféré l’absorber et la faire disparaître. Non seulement cette marque renaissait, mais elle secrétait en plus, de l’aveu même du Président (malheureusement décédé depuis dans un accident d’avion) des évolutions culturelles intéressantes au sein même du groupe. Tout cela fonctionnait bien. Au bout de trois ans la direction à laquelle appartenait cette marque décida de répartir les membres leaders de son équipe dirigeante dans d’autres marques du groupe, par un juste désir de cross-fertilisation. Bien sûr, ladite marque, dont l’acceptation par les autres était encore fragile, disparut dans les dix huit mois qui ont suivi la dispersion des ténors de son équipe.
Deux choses sont remarquables dans cet exemple : d’une part la façon dont une grande organisation peut supprimer une équipe qui produit des résultats en offrant une promotion à chacun de ses membres ; d’autre part la façon dont elle écarte un exemple gênant qui remet en question le mode de fonctionnement culturel de l’entreprise. La performance de cette marque était en fait devenue une source de comparaison et de désunion. Peut-être fallait-il qu’elle disparaisse pour ménager une harmonie de façade.
D’autres exemples pourraient illustrer ce frein à la réussite, résultat de la puissance d’inertie, des caractéristiques limitantes de la culture, de la lourdeur de l’organisation ou de véritables réticences des cadres dirigeants à constituer leurs ressources en équipes efficaces. A maintes reprises et dans toutes sortes d’entreprises, nous mesurons que, si le progrès d’une équipe est bien reconnu par l’organisation elle-même, celle-ci ne cherche cependant pas à réfléchir sur le modèle qui a du succès. Il n’y a souvent pour cela ni temps ni lieu. Cela fait partie des choses dont chacun estime qu’elles sont à faire mais pour lesquelles personne n’a de temps !
On peut, à cette occasion, s’interroger sur l’image que se font certaines directions des ressources humaines à propos de leur mission quant au niveau de rendement global et de leur responsabilité dans la productivité des équipes. Stimuler le rendement des équipes hautes ou corporates, mesurer la mobilisation et la focalisation, faire émerger l’intelligence collective et entretenir des dynamiques authentiques est à leur portée et relèvent de leur devoir d’optimisation des ressources. Une question analogue pourrait être posée aux Dircom, dont on attendrait aussi qu’elles sortent du maniement exclusif de l’information pour s’ouvrir à un renforcement des échanges au sein des systèmes internes à l’entreprise.
Alors pourquoi cela ? En fait, on peut se demander si une véritable recherche de performance ne remettrait pas trop en question les logiques existantes, tant personnelles qu’institutionnelles. Peut-on en effet vouloir développer le collectif sans remettre en question le fonctionnement territorial et personnel ? Comment permettre à ses collaborateurs de prendre des initiatives lorsqu’on redoute de ne savoir s’y prendre avec l’accroissement de leur pouvoir ? Est-il possible d’accepter un autre mode opératoire que le sien sans se sentir contesté ? Comment enfin travailler sur la confiance quand on n’a pas confiance ? Et cependant, chaque dirigeant sait bien que s’il « fait son équipe », celle-ci fera le reste. Chaque DRH sait bien qu’on peut « usiner le collectif ». Chaque chef d’entreprise sait bien que les ressources humaines sont stratégiques. « Oui nous savons bien tout cela » nous confiait l’un d’eux, mais « nous ne pensons pas savoir agir dessus » !